L'ennui / Boredom

Transat en toile...

Depuis quelque temps déjà, une image l'obsède. 
Un homme sur la plage, dans un transat en toile. 
Un homme perdu dans ses réflexions
Allongé sous un soleil de plomb. 
Sous une chaleur à liquéfier la conscience
Immobile dans ce transat de toile délavée
Cet homme, de lui-même, est comme la projection.
Issue de sa conscience, sa voix s'élève
Comme une voix "off", qui dirait en substance...
 "Incroyable! -ce que l'on peut s'inventer
Pour tenter de se libérer de sa condition!"


En pur esthète, cet homme observe
Ceux-là même dont il capte les visages inconnus
Avec toute l'étroitesse de son champ de vision. 
Vacanciers, curistes, sportifs vont et viennent. 
Des êtres avides de reconnaissance
En mal de soins et d'attention.
Lui mis à part, qui s'en soucie vraiment?
Cette santé débordante, ces corps impudiques
Outrageusement démonstratifs, ne servent bien souvent
Qu'à masquer une inanité de propos
Un néant des sentiments
Sous le leurre des apparences. 
Vus et entrevus, ces spectres à eux seuls
Suffisent à donner un aperçu du déjà vécu.
Et cette pensée l’attriste, lui devient vite insupportable.
Il remarque surtout les femmes
Dont il n'a pu connaître les vies
Derrière ces visages lisses
Aux sentiments parfois apeurés
Il traque chaque stigmate d'animal blessé.
Il les aime, et les intuite.

Délaissant son lent travail d'observation
Il lui arrive parfois de lire.
Mais sa pensée alors s'emmêle.
Porté sur les mots, son regard devient vite superficiel.
De peur d'enfouir sous la vision d'un autre
De parasiter, ou bien d’occulter
Ses émois éphémères.
Son regard se ferme alors au Monde.
Terrassé, comme paralysé, il se crispe soudain.
Dénué de toute expression, on dirait qu'il pense
Alors qu’il dort... Et endort sa conscience
Ses fantasmes profonds.

Il ne connaît rien de cet homme
Ce qu'il fait de sa vie, et pourquoi il est là.
Il sait seulement que ce dernier s'imagine
De nouvelles vies, dans son transat de toile
Au bord de cette plage.
Se projetant dans celles d'autrui
Vivant par procuration.
Alors même qu'un ballon d'enfant
Plusieurs fois rebondit
Il ne remarque pas ce mouvement gracieux de projectile
Roulant sur le sable
Venant mourir à ses pieds.


Sept 1985ClaudeHenriMarron





Renoncement


Il n’y a de honte à s’accepter tels que nous sommes. 
Encore faut-il savoir ce que nous sommes. 
Je suis ma propre faiblesse. Je suis mon talon d’Achille. 
Je suis l’ennemi de ma tranquillité. 
Je suis ma pomme de discorde. 
Je suis le nœud de mon malheur. 
Je suis la déraison même.
Je suis un entrelacs d’envies contrariées.
Et bien souvent contraires. 
Si ma venue en ce monde
En d’autres temps, d’autres lieux
Se fût accomplie.
Que vers Delphes
Par un de ces oracles bien sentis
La Grande Pythie qui, paraît-il
En avait le secret
M’eût de mon être enfin
Dévoilé la nature véritable
J’eusse cartes sur table.
Sachant aussitôt vers quelle destiné
Les vents de ma propre nature
Me pousseraient.
Connaissant enfin, de mon être
L’absolue vérité
J’eusse, dès ce jour
Un peu moins de mon temps
Si précieux, gâché.

Nature vraie, un jour m’ouvriras-tu jamais les yeux ?
En ton nom alors, saurais-je seulement choisir ?
Laquelle solution est à emprunter ?
Ce que je redouterais le plus
Serait de me résoudre au soulagement des faibles
La mieux partagée au Monde. 
Voie royale... Sainte Résolution du Renoncement !
De cadavres d’anciennes vérités tapissée
De vies inachevées clairsemée
De souffles déchus jonchée
De tentatives avortées saupoudrée
De lambeaux de nous-mêmes pavée
De sursauts décryptés
-vite dans l’œuf-
Étouffée…

Renoncement! Notre reconnaissance t’est sans limites.
Faibles à nos yeux, faibles aux yeux du Monde
Et c’est tant mieux! Trop ingrat effort
Trop incertaine vérité. Audace…
Admirable audace, se situant quelque part
Entre Ciel et Terre.
Tout juste bonne pour ces héros
D’une lointaine Mythologie.
Grands Renonciateurs, devant l’Éternel, nous sommes.
De ceux pour qui rien ne vaut confort
Et réconfort de la Multitude.
Trop avides de reconnaissance
Notre seule règle admise
Le Commun nous protège de nous-mêmes.
Et ce vers quoi, le plus souvent, nous tendons
Est d’un grand banal, au fond.
Sept 1985ClaudeHenriMarron




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