Les plaisirs / The delights

L'amour n'a plus cours


Finis les chagrins
L'amour n'a plus cours
Pour se reproduire
Les bébés éprouvettes
Les gamettes
Plus besoin d'affect
On est "safe"

En caleçon
Le beau, le grand, le vrai
Le type s'imagine
L'amour véritable
Pour un semblant d'extase
Un passe-temps de caniche
Pour une jambe en l'air
Se mettre à nu, là
Jusqu'à votre âme
Pour peu il exige

Casanova nous les brise
Draguer nous épuise
Finis les Roméo, les Juliettes
L'amour est friandise
Un summum tout juste 
De la ringardise

Si pour chaque rencontre 
Faut y laisser trois plumes
Des picotements d'amertume
De joie lasse
Un coeur en ramasse
Toujours insatisfaites
A-t-on besoin, vraiment
De ça, les filles?

Sans amour
Du coup 
Sans amour
Du tout 
Finis les chagrins
L'amour n'a plus cours
Pour se reproduire
Les bébés éprouvettes
Les gamettes
Plus besoin d'affect
On est "safe"

©ClaudeHenriMarron
Paris, 1er Avril 2013

JE VOUDRAIS


Je voudrais une nuit entière
Collé à leur peau musquée
Sentir encore au son sale
De sonos démontées
Le rugueux grésillant
D'un night-club halluciné.

Le pouvoir des corps en transe
De belles allumées
Ruisselantes indécises
Belles et frémissantes
Aux yeux exorbités
De leur hanche vibrante
Sentir frémir la peau granulée
De sueur salée-parfumée.

Je voudrais du flou électrique
Du flux, du va et vient plaisir
Qui du bas de l'échine
Flottant en elles remonte
Depuis le mont de Vénus
Jusqu'aux lèvres mordantes

Une nuit entière
Collé à leur peau musquée
Sentir encore au son sale
De sonos démontées
Le rugueux grésillant

D'un night-club  halluciné.

©ClaudeHenriMarron
Paris, 1er Avril 2013

Idle girl 


Je suis ta mouette
Le flou idéal
L'envol de ton souffle
Quand le vent me pénètre
Je suis l'inutile et le nécessaire
L'indispensable de tes nuits
Sens en moi
Ce frémissement jaillir
De mon plaisir
Écoute le chant
Dans l'air intérieur
De la dune indiscrète
Ma peau et mon désir
Et mon corps sous ta caresse
Nos deux corps qui se cambrent
J'attends et je vibre
En moi je te frémis
Ma taille se déplie
Je te suis offerte
De mon plaisir
Écoute le chant
Dans l'air intérieur
De la dune indiscrète
Où l'onde s'élève
Le flux et le reflux
Mon corps sous ta caresse
Tu es la vague
Dans les sables du désir
Mon corps s'enlise
Je suis ta mouette
Le flou idéal
L'envol de ton souffle
Quand le vent me pénètre
Je suis ton inutile et ton nécessaire
Indispensable de mes nuits
Je t'attends
Je suis prête
Ma peau et mon désir
Et mon corps sous ta caresse
Nos deux corps qui se cambrent
J'attends et je vibre
En moi je te frémis
Ma taille se déplie
Je te suis offerte

©ClaudeHenriMarron Paris 23 mars 2013


Idle girl

I'm thy seagull
The fuzzy ideal
The flight of thy breath
When the wind penetrates me
I'm useless and necessary
The essential of thy nights
Feel in me
Gushing this tremor
Of my desire
Listen to the song
In the inside air
Of the dune indiscreet
My skin and my desire
My body under thy caress
Our two bodies arching
I wait and I vibrate
I shudder thee in me
My waist unfolds
I'm available
Of my pleasure
Listen to the song
In inside air
The dune indiscreet
Where rises the wave
The ebb and flow
My body under thy caress
You're the wave
In the sands of desire
My body is sinking
I'm thy seagull
The fuzzy ideal
The flight of thy breath
When the wind penetrates me
I am thy useless and thy necessary
Essential of my nights
I'm waiting
I'm ready
My skin and my desire
And my body under thy caress
Our two bodies arching
I wait and I vibrate
I shudder thee in me
My waist unfolds
I'm available

L’ Ère du clip


Les feux de la rampe s’achètent au B.H.V. 

Une époque diablement formidable
Une ère nouvelle que celle du Clip. 
Pour une somme
Somme toute modique
On peut se payer du...
Bogart en lampe de chevet. 
James Dean en abat-jour
Garbo en cendrier
Baccal en vase à fleur. 
Groucho en petite culotte. 
Wayne en T-shirt
Brigida en sac à main. 
Bardot en dessous de plat
Redford en stylo-plume
Bergman en encrier
Newman en chemise pilou
Crawford en bracelet-montre
Travolta en pyjama.

Et le reste ? 

En cartes de visite… 
Classeurs d’écoliers, services à thé
Bouteilles d’eau de Seltz, transistors
Carpettes, tapis-brosses et pots-pourris. 

La Rue Mégalomane vous observe. 

Lentement, insidieusement
Le Star System s’incruste en vous. 
Des caméras se braquent sur votre nombril. 
Gros plan sur la petite cicatrice
De votre appendicite. 

Vos cils en bataille

Votre bouche suave
Votre emballage est si tentant.
Et les tendances ravageuses
De vos regards si flous
Hagard... Hollywood à vos pieds
Sur vos pantoufles. 
Vous êtes plutôt fauché
Mais vous tournez pour Spielberg.
Votre image bouge en Technicolor. 
Ne manquerait plus que… 
Le titre?

1985©ClaudeHenriMarron



Berline évasion


Âpre lutte, et quotidienne

Contre des rayons accablants en été
Dans ce parking isolé
Sous des feuillages ajourés
Une ombre de fin de journée
Finit par venir caresser
Les reflets métalliques et bleutés
De ma longue berline. 

Elle semblait jouer là

Sous les platanes
Au frais bruissement du vent
Se laissant comme bercer
Mon éternelle égarée

Parmi ses sœurs naines 

-Autos immobiles- 
Coques plastique/alu
Un rien trop modernes. 
Impuissantes sous la lame
Comme dessus

Cette flottille sans âme

N’évoquait que frêles esquifs
Tandis qu’en haute-mer
Mon vaisseau antique préféré
Lui, semblait ancré.

En éternelle attente...

Ses chromes d'une autre époque
Ses lignes généreuses et flottantes
Fidèle, avec ses phares dits "américains"
Et sa portière rhumatisante
Qu’une fois de plus
Je fis grincer.


Home spacieux, refuge complice
À l'ère du "compact"
Unique lieu où ces grands espaces
Qui, souvent, mon cerveau hantent
Pouvaient encore se loger
J’étais comme elle, fatigué. 

À l'intérieur, dans notre intimité

Un regard tendre je jetai
Me laissant fondre de plaisir
Tête en avant, et sans faillir j’ai plongé
Contre son skaï mou, ma peau
De sueur mouillée.

Cuit par des années de canicule

L’air chaud et moite
De l’habitacle me parut
îlot de fraîcheur. 
Je reculai mon siège, côté conducteur. 

Comme je le savourai

Cet instrument de liberté
Aux agitations fébriles
Aux grandeurs étriquées
Loin de nos villes stériles
À tout moment, elle pouvait
M’assurer d’échapper.

Avec elle, en un tour de main

Tout s’effaçait. Soufflant du ventilo
Comme un air de grands larges
Le ciel, en sa presque totalité
Envahissait mon espace vital
Jusqu’alors confiné
D'un tour de clé, d’un seul
Contact ! 

Et déjà...

C'était le Cap.

1985©ClaudeHenriMarron




Lumières d'un soir


Quand, à l’heure où l'on se prend à errer

L'été sur la ville, et sur nous
Desserre un peu son étreinte. 

Quand, d'une ardente journée

Le voile éthéré se déchire. 
Quand, de cet air encore tiède
La soudaine fraîcheur
Enfin nous libère.

Quand la douce quiétude

Succède aux heures moites. 
Quand cette lueur égale
Comme une queue de comète oubliée
Partout et tout, adoucit. 

Quand tout nous pousse

Tout nous incite
Aux terrasses, sur la place
Et près des cafés
Ainsi que dans les squares
À des jeux enfantins.

Là où nos pères autrefois

Près des kiosques à musique
Guignaient les robes froufroutantes
Et la geste gracieuse
Des patineuses antiques
Des jeunes filles d’aujourd’hui
J’admire les prouesses novices. 

Aux allures éternelles

Aux formes sublimes
Aux évolutions saccadées
Courtisanes débutantes
Aux modernes agilités

Temps suspendu

Trop rares moments de grâce
Elles font et refont
Le sel et l’innocence
Le grand mystère
De l’existence.

Juillet 1999©ClaudeHenriMarron




Café-portrait



À la terrasse des cafés
Tous ces visages d'inconnues
Rappels de tableaux anciens


Comme des visages-mystères
Condensés de visages
Déjà rencontrés ?
À la terrasse des cafés


À la terrasse des cafés
Les moues boudeuses
De femme-enfant
En faire le portrait
En confisquer pour soi
Le secret
À la terrasse des cafés

À la terrasse des cafés

Un visage est une promesse
Un puissant viatique
Contre le néant
Une identité, des contours
Une âme ?
À la terrasse des cafés

À la terrasse des cafés

Comme une vérité
D'attente vraie...

En faire le portrait

En confisquer pour soi
Le secret
À la terrasse des cafés
1985©ClaudeHenriMarron


L'homme aux confidences

"Sei sempre in compania delle donne
Perchè hai paura dei uomini !"
(Giovanna B.)

Dès que pour la première fois

Une femme, il rencontre
Très vite, trop vite peut-être
Comme un doux agneau
À l’écoute d'une sœur
Il est admis.
Complaisance, ou corruption...

Dans l'éternelle guerre des sexes

Tour à tour les civilisations reconnurent
La supériorité de l'un
De l'autre, inversement
C’est selon... 
Le diable dans le cœur
Mâle dominateur
Il possède en principe
Cette agressivité propre
À sa condition. 

À l'écoute d'une sœur,

Le doux agneau...
Ou pervers complaisant ?
De rendre hommage
À sa fécondité
Jamais il ne manque.
En matière de sexe
Comme tout un chacun
Il va de soi qu’il cultive
Les pires fantasmes
Les pires obsessions.

Mais, de son ennemi héréditaire

Un combattant peut
Se montrer respectueux. 
Manière subtile d'occulter
Sa virilité
Pour mieux la faire reconnaître
Par d'autres biais...

En matière de supériorité

Pour sa part
Il ne tranchera pas. 
De fait, il se sent très mal placé
Pour juger. 

Avec une aisance

Qui continue de l'étonner
Ceci dès son plus jeune âge
Il eut ce privilège
La tare, selon le point de vue
Où l'on se place
De très vite, trop vite peut-être
Entrer dans la confidence des femmes.

Beaucoup plus rarement celle des hommes

Compagnons de par le sexe
Rivaux qui, d'un naturel instinct
De lui se méfient
Et, que d'une certaine manière...
Il fuit.

1985©ClaudeHenriMarron



Tartare d’amour...





Jamais il n'avait désespéré

De rencontrer cette femme
La femme qui...

Sachant l'humilier

Sachant le contraindre
Juste assez dans son amour-propre
Susciterait en lui la Métamorphose.

Endosser la part du Tigre

En lui assoupie
Être ce Tigre
Ne plus seulement en rêver.

Mordre à pleines dents la chair crue

Des femmes sexuellement sublimes
En dévorer le cœur et l'âme.

Se sentir bien dans sa peau

Se tailler dans le vif
Un esprit à sa mesure.

Esprit fort, esprit charnel

Sexe, viande, et femmes
Tartare d'amour... 

Tout ce qui en lui

Saura exciter le Félin
Désormais sera bon.


L’homme de trente-cinq ans


À l’âge de trente-cinq ans
Il constata, ravi
Qu’il était Homme
Et c’était bien. 
Suffisant, nécessaire
Cela lui parut justifier
Son temps passé et futur.

Et d’abord, dans la rue ce furent
Les yeux d’une femme passante
Qui par bonheur vous rassurent.

Deux corps souples se croisant
Chairs éblouissantes
Heureuses de leur différence
Engendrant le désir.

Sans fausse honte
Ni pudeur idiote
Comme autrefois éprouvées
En pareille circonstance.

Aujourd’hui homme
Plus de fuite
Ni de stress 
Proche de la panique.

Engendré, il existe. 
Chaque geste, chaque mot
A l’importance
D’un premier jour.

Sept 1985©ClaudeHenriMarron




Fille à la vidéo


D'un seul doigt dans la fente

La Fille, la cassette glissa
Avec cette satisfaction gloutonne
De petits claquements secs 
Et gourmands automatiquement
La machine l'avala.

Il y avait dans ses gestes,
Sa façon générale
De faire, de se mouvoir
Un quelque chose
Délicieusement lascif
La bande se cala.

Quand, sur le moniteur
Quelque chose de saisissant
Explosion crue et de couleurs
L'image gicla.

L'air de fausse indifférente
En vieille routarde lassée
Déjà, des choses du sexe
Au skaï moelleux de son fauteuil
La Fille s'abandonna.


Fausse langueur innocente
Contre son genou
Il sentit sa cuisse
Chaude et ferme
Que dans son relâchement
Et comme sans y prendre attention
Elle appuya.

De qualité irréprochable
Images techniquement parfaites
Et sans âme
Si le clip était insipide
La Fille ne l'était pas.

Intrinsèquement audiovisuelle
Chaque seconde de cet instant
Il savoura.

Ce qui, en ce lieu
Le tenait en haleine
Du corps de cette Fille
S'exhalait sans pudeur 
Attouchement "involontaire"


Il en ressentit tous les et moi.

De sa mystérieuse voisine
Et trouble
Une volupté
À ces minutes conférait
La magique, ambiguë 
Perfection
De l’attente.

1986©ClaudeHenriMarron


Matérialiste


Nues, et parfois même habillées
Il observe ses contemporaines
Mais jamais, il l’avoue, il n’a couché
Sur le papier un mot, un seul
De ses intimes perversions. 

Ce n’est faute d’avoir pu procéder
À de judicieuses observations
Trop pudique à propos
De sa personne physique
Cela le handicape salement
Sur le plan littéraire.

Pourtant la chair
Dans ce qu’elle a de plus mesurable
Et de visible à l’œil nu
Porte en elle le goût
De l’élucubration mentale.

Même si l'on ne peut prétendre
À ce que vos tripes
Ou autres appendices
S’expriment en notre nom
À notre place
L’époque se veut matérialiste.

Elle veut du palpable, du concret
Du contenu réaliste
Chacun sait, qu'en matière de cul
Rien ne remplacera
L’image crue.

1985©ClaudeHenriMarron


L’image


Prenant le pas sur notre raison
L’image, à l’évidence
S’impose comme un despote
De nos inconscients communs. 

Mobilisant dans l’Instant
La totalité de nos sens
Comme pour mieux anesthésier 
La part restante 
De notre individu.

Hypnose de l’écran
À la surface de notre être profond
En un feu d’artifice fécond
Remontent les sensations du vécu. 

Scintillements d’émotions en cascades, 
Réactions en chaîne neuronales, 
Explosions de vies et de possibles.

En ces moments, notre esprit 
Se sent fort
Si beaux, si forts
Et si intelligents nous sommes. 

De l'immédiate perception, 
La source supprimons 
Éteignons le poste
Et notre pensée soudain est veuve
Et nous voici sans résonances.

Pour la remplacer, nul discours 
Ne se révèle assez fin
Nulle phrase assez pertinente
Si tôt, alors, disparue 
De notre champ de vision
L’Image nous laisse en un état 
De manque. 

Peur du vide.
Témoins et voyeurs jamais repus
Consommateurs du vécu
De la beauté et de l’intelligence d’autrui
N’avions que des instantanés factices
Des ersatz de vie
Un moment appropriés.

Ennemie de l’imagination
L’Image parfois serait comme une pitance
Jetée en pâture 
Aux infirmes
De l’Imaginaire.

Automne 1985©ClaudeHenriMarron




Au bord de l’Ébron



Inclinée vers le Sud
L’ardoise lézardait au soleil
À sa base...
Comme un toboggan aquatique
Avec le temps, dans la plaque sédimentaire
Un canal irrégulier s’était creusé. 

Le torrent y prenait de la vitesse
Le flot bouillonnait
Glissant contre la roche polie. 
L’eau s’engouffrait dans les creux
Caressant, usant l’ardoise patiemment
Pour s’y lover.

Remous incessants, murmures obsédants
Fusion du minéral et du liquide
Mon corps frémit d’aise 
Entrant dans le trou
Au contact de son eau fraîche.

Nu, entièrement immergé
Les plantes de pieds bien calées 
Contre les rebords de la marmite
Adossé comme à un fauteuil
Contre le courant puissant, presque solide
Je m’abandonnai à ses caprices.

Tel le dauphin dans le sillage du bateau
Mouvant et fixe
Sur mes jambes bien campé
Mon corps louvoyait
Ma chair palpitait
Ma peau ruisselait.

À l’heure où
Le dernier baigneur rejoint son home
La meilleure pour sa lumière 
Et la profondeur des choses
Dans cet éclairage particulier
Nu, sur la roche inclinée
Contre l’ardoise grisâtre
Encore brûlante
De lumière accumulée
Dans le soleil couchant
Je m’allongeai.

Au cœur de l’été 
Et ses soirs idylliques
Je réchauffai ma peau 
Encore toute frémissante.

Puis, déjà engourdi
Par la fraîcheur tombante
Au point de ne pouvoir bouger
Mes affaires éparses
Avec effort
Je rassemblai.

J’enjambai la retenue
D’eau, de pierres empilées
Pour, là-bas, rejoindre 
Celle qui m’attendait
Tapie dans les fourrés.

Au cliquetis lancinant
Poussant enfin dans la côte
Ma fidèle bicyclette
Je remontai la route
Au long des champs de blé.

Sept 85©ClaudeHenriMarron


Petites annonces


Assis sur un petit banc de parc public
Il consultait fébrilement 
Une page de petites annonces
Des lignes... Quelques lignes
Noircissantes, de mauvaise encre
Des pages froissées, de papier
Fraîchement sorties de l’imprimante
Mauvais papier et pourtant.

Pour lui, le support à rêves insensés
Ici s’offrait une place de commis boucher
Là, celle d’analyste-programmeur
Ou encore… gérant de société
De quoi rêver... Tout un monde d’inconnu
Et de possibles.

Malgré lui, il ne pouvait
S’empêcher de s’identifier 
Aux personnes recherchées
Collant, à coup sûr, au profil souhaité
Il se vit agent de maîtrise
Que sais-je encore
Apprenti pâtissier
Chef d’orchestre renommé.

Toujours satisfait, il se vit
Accomplir pleinement ses devoirs
Ceux qu’une société bien policée 
Est en droit d’exiger
D’une personne compétente
Et assermentée.

Ah, conscience professionnelle
Nouveau Monde
Terre Promise
Seulement voilà
Pour lui, de compétence
Il n’est question que de chômer.

Ça lui collait à la peau
Ça lui allait comme un gant
Il avait la tête de l’emploi
Nullement contrarié de ses incapacités
Il se mit à bailler, voluptueusement
Avec condescendance
Portant un toast à la santé
Du monde du travail

Sept 1985©ClaudeHenriMarron


Joli petit papillon





Métamorphose… Joli petit papillon d’espoir
Puissions-nous ne jamais te couper les ailes
Changer de peau, changer de vie
Changer de cap
Une fois pour toutes, abandonner 
Cette infirme conviction des indécisions 
Qui nous sapent. 

Partir… Partir
Perpétuelle balance
N’est-il donc pas donné à tout le monde
Pour nous autres, cloportes de l’espoir
Peuple de teigneux et d’aigris
La chance à saisir est chose rare
Même quasiment impossible
Tant la faiblesse
Semble notre chronique. 

Folle perspective… Vivre de neuf
Le déjà-vu ne plus revoir
Et vivre le déjà-vécu
Jamais plus ! 
Réécrire sa vie
Chacun, un beau jour
Finit par en être titillé
Là, dans ces coins d’ombre
Cette demie molle inconscience
Quelque part entre cervelle
Et saindoux.

Un Monde d’où
Jamais plus
Machine arrière nous sera permise
Dans cette vie
Où tout peut encore arriver
Un Monde où tout semble
Encore possible, le moment venu

En route vers ces pôles inconnus
Dans cette vie, oui mais laquelle
Et s’il n’arrivait rien
Serait-ce encore la vie ? 
Devrons-nous, au bout du compte
Nous contenter de ce que nous sommes
Ou croyons être ? 

Prisonniers de cet état
Qui paraît-il, convient le mieux 
À notre mérite
Savoir sauter sur l’occasion
Ha, ça oui ! 
En faut-il de la décision
Dans l’apathique attente
En faut-il de l’effort
Pour ne rien perdre
De ce qui se tente. 

La chance… 
Saisir le taureau par les cornes
Savoir le reconnaître, ce tordu hasard
Qui nous survient
Jamais, comme il était prévu
Et cette chance-là, qui toujours
Nous arrive masquée
Nous finirons bien, ce choix
Quel qu’il soit, où qu’il penche
Un jour ou l’autre, par le regretter
Dans un… Ou dans l’autre sens
Juste avant...
La métamorphose.

Sept 1985©ClaudeHenriMarron


Fille à la moto

Lorsque la Fille, la puissante machine
Au corps ventru, enjamba
Prise entre deux jambes fines
Deux cuisses racées, gainées de jean
Fermement en étau, sur sa béquille
Aussitôt, sa masse
Vacilla

Visant au cœur des hommes
Amusée et sûre de son effet
La jeune amazone
Main ferme et caressante
Nerveuse, sans être crispée
Le guidon
Elle enserra

Un léger souffle, au long de sa chair
Frémissante, finement musclé
Tout son corps exhalant
Et grâce, et féminité
L'énorme machine
Stabilisa.

Forte et féline, dans un élan ultime
Pour un envol gracieux, son corps
Se dressa
Poignée des gaz, valve entrouverte
En douceur sur le kick
Elle fondit comme 
Fonda

Regard transparent, pupille
Au gris meurtrier, profonde
Étonnamment. Moue juvénile
Lippe charnue, doux sourire
Lumineux. Entre naïve
Et malicieuse, sa jeunesse
Oscillante. Entre cruauté
Et audace, vitalité
Et intelligence
Jetant le feu, l'Amazone
Médusa.

Il y eut comme
Un bruit de compression
Sous l’effet de l’unique piston
De quoi entraîner une Révolution
Puis deux, puis trois
Puis, toute puissance développée
Toute une série de détonations
Tout assourdi de ses pulsions
Mon cœur, une à une
Du moteur
Chaque explosion
Répercuta.

De la Fille, ou de la Machine
Qui fut domptée ? 
Persuadés au fond 
D'avoir assisté au pure moment
D'Éternité. En cet instant
À son contact
Quand jouissance et magie
Tout simplement fusionnent
Quand, de sa presque animalité
Tout l'Être rayonne
Quand agit l'élémentaire charme
De la jeune Amazone.

1988©ClaudeHenriMarron




Désir ami-amie


Si elles pouvaient se douter

Des sentiments qui l’animent
Des pensées profondes qui le hantent. 
Ses yeux, qu’il plonge
Dans des regards confiants
Et si beaux
Ses yeux, qu’il accroche
À des lèvres, dont il suit chaque mouvement
Ses yeux, n’ont de cesse de caresser
De fouiller ces corps, qui l’écoutent

Plus le sujet de conversation est banal
Plus son trouble est grand. 
Parler de la pluie et du beau temps
Lui suggère quelque acrobatie
Subtilement érotique. 

Érotisation du discours
Sublimation permanente de l’acte
Passer à hauteur géographique
D’une taille bien fine
Adossée à un obstacle
Ou bien penchées au-dessus
Des rondeurs fermes
Moulées en garçonne ou chiffonnées
En femme du monde... 

Un jean tendu, prêt à craquer
Et c’est un déferlement d’images torrides.

L’idée qu’un sexe, puisse passer 
À hauteur géographique
D’un autre sexe
Et qui ne demande, au fond
Qu’à l’accueillir… 
Et le voici pénétré
Du désir de la pénétration.

Amour du beau
Esthétique du corps féminin
Formes, volumes, plasticité
Corps imbriqués l’un dans l’autre
Au lieu de cela, au lieu de l'acte
Irraisonné, mais si beau
Banale, la parole s’installe
Le dialogue des phrases creuses
La mièvre douceur
Ami-amie.

1985©ClaudeHenriMarron


Petit Matin


Sous un ciel grisâtre, déserte et humide
La ville dormait. Nappées de brume
Les sombres pierres
Et les portes cochères. 

Il marchait, et tout résonnait 
Au pas solitaire. Dans la bouche
Ce goût de fer des réveils 
Trop matinaux. 

Gagnant les rues étroites
À hauteur d’un porche
Bouche grande ouverte
Une lourde porte grinça. 

Comme sortie de terre
Au bord du trottoir
L’eau en cascade 
Crachait la ville entière.

Au long des lignes métalliques
Suivant l’écho électrique
Couraient câbles et perches.
Saluant le petit jour
Passa un trolley antique
Tout frais sorti du dépôt. 

Pain et croissant chaud!
De loin en loin sur la Place
S’étalaient les boutiques. 
Mais vite dissipée, la promesse
D’écriteau
Devant le fer baissé
Du rideau. 

Avec peine et regrets
Matinal et poussif
Un démarreur au loin
Lançait son rotor fatigué
Couvrant le pas pressé 
D’un modeste préposé
Une toux, comme des quintes
Entremêlait ses soubresauts.

À la douche municipale!
Au grand nettoyage, et sous sa lance
Conviait l’employé.
Aux caniveaux, d'eau tout ruisselait
Aux flaques déjà
Les pigeons se rassemblaient.

Léger glissement sur la chaussée
Un taxi pressé, comme un bruissement
À tire d’aile, un passage d’hirondelles
Il traversa la scène
Et tout fut éclaboussé.

Quittant ce goût de fer
Sa raideur ensommeillée
Au jour plein enfin, son corps s'en fût
Comme neuf, par les rues
Régénéré.

1985©ClaudeHenriMarron


Flots spiritueux

Il sentit, au travers de sa gorge
Le liquide couler
Une douce chaleur l’envahir peu à peu
Bientôt, son être tout entier
Ne serait plus qu'un brasier confus
Parfaitement incontrôlable
Et son esprit, à l’abandon
Le siège de sensations
Incohérentes et multiples. 
Vapeurs d’esprit, dans les canaux internes
De son corps, un bonheur combustible
Se dissolvera. 

Il lampait à loisir
À grandes goulées
De plus en plus rapprochées
De plus en plus longues
De plus en plus avides
Ses viscères, comme à l’infini déroulées
Se gonfleront de spasmes intermittents
Béatitude infinie, outre pleine
À exploser
Le flot spiritueux ira se perdre en lui
En des profondeurs, insoupçonné.

Sept 1985©ClaudeHenriMarron


Lourde porte en chêne


Le soir venu, il ouvrit la lourde porte de chêne

Pour, sur le perron usé, humer l’air
Dans le ciel, un feu clignotant volait vers le Nord
Ignorant que l’été prenait fin, un grillon
Faisait encore entendre
Son timide chant d’allégresse
La nuit tombait. L’air tiède des soirs d’août
Déjà, faisait place à la fraîcheur. 

Il y aurait encore de beaux soirs comme celui-ci
Avant les grands froids. Mais inexorablement
Septembre menait vers la morsure de l’hiver
Encore odorant d’essences de pins le village
S’endormait peu à peu. Une seconde
Il resta sur le perron pour s’imprégner
De cet apaisement universel. 

Le ciel se remplissait
De scintillements d’étoiles
Le grillon se tut
Pour rejoindre les ombres de la nuit.

Avant que les esprits ne sortent
Des pierres du chemin
Que le voyageur errant
Ne reprenne possession du Monde
Sur tous ces mystères
La lourde porte sculptée se referma.

Assis à sa table d’écriture
Il reprit le cours
De son labeur solitaire…

Sept 1985©ClaudeHenriMarron




Rencontre d'un certain type


Cela avait continué, bien au-delà
Les premières rencontres
Un jour, qu'il traversait
Aux feux, il sentit
Comme un regard posé sur lui.

Comment l'avait-il saisi... Mystère.
Sans hésitation, aucune, instantanément
Il avait tourné la tête
Pour venir la fixer droit dans les yeux. 

Derrière ce pare-brise, là
Immobilisé plus loin dans la file
C'était bien Elle.
Sans expression particulière
Regard de félin solitaire
Comme interrogeant le sien.

Hors de toute rationalité
Ce qui passe dans le regard
D'un félin...
Qui peut savoir ?

Sentiment étrange
D'un regard insondable 
Figé sur le monde
Dont nous serions, nous
À vouloir sonder le mystère.

Ils étaient comme deux corps
Qui s'attirent. Deux corps aimants
Indifférents aux passants anonymes
Deux corps aimantés
Du Grand Boulevard.

Comment expliquer cela
Alors qu'il marchait
Pour atteindre
Le trottoir d'en face
Chaque cellule de son corps
Cette présence...
À aucun moment
N'en avait douté
Plus curieusement encore


Plus avant dans sa marche

Perdu dans des pensées

Elle occupait déjà tout son être

Elle... 
Comme parvenue à se matérialiser
Elle...
Bien en chair, à présent.

Sceptique par nature
Il ne croyait guère en lui
Comme en un être doué
Sur le divin.
Pouvoir de convergence
Pouvoirs surnaturels
Inexpliqués...

Si, par commodité, il l'admettait
Se pouvait-il croire un instant capable
De matérialiser une autre âme
Quand des pensées
Déjà vers Elle sont tournées ?

Pouvoir de la capter
De la toucher au plus profond
De la contraindre
Sans qu'elle n'en soit
En rien impliquée
Et quelque-part, complice ?

Simple mégalomanie de sa part
Ou quelque monstre
À ce point égocentrique ?

Serait-ce là plutôt
Ce que l'on nomme
Schizophrénie ?
Une amie, précisément
Souffrante de ce mal
Un jour lui avait confié
Comment une telle personne
-Elle-même- s'imaginait
Des foules qui, parfois, 
Se pressaient dans la rue
S'agglutinant autour d'elle 
Pour dire son nom, et l'acclamer.

Ici, des foules, pas précisément
Encore moins à l'acclamer
Mais...

Il ne faisait aucun doute
Que l'objet de toutes ses pensées
Était bien là, à quelque pas
Dans sa petite auto.
Fallait-il donc deux empathies
Un minimum convergentes
Pour produire de tels effets ? 

Était-ce pour le voir
Qu'elle venait dans cette ville
Pour lui cela était certain
Mais cette convergence
Précisément, en cet instant
En un lieu, aussi fortuit
Aussi impersonnel
Où rien ne les prédisposait
À se croiser...

Voilà qui était proprement magique. 
Pour répondre aux sceptiques
Était-il possible qu'elle l'eût suivi ? 
Allez donc, en roulant au pas
Suivre le chemin d'un piéton
Coupant le vôtre par votre gauche
Perpendiculairement
Sur un grand boulevard à quatre voies
Et deux contre-allées
Où de savantes manœuvres
De conduite urbaine
Sont tout-à-fait impossibles...

Inconnue d'elle, cette ville
Elle n'y était que de passage
Pour ceux qui la connaissent
Cette ville n'était faite
Que de sens uniques. 
Et elle vint à passer par là
En même temps que lui
En cet instant...

Et il n'y eut plus qu'eux sur Terre
À l'évidence.
Comment était-il possible
Que dans un tel espace
Si large, si bruyant, si encombré
Il puisse ainsi s'établir
De l'un à l'autre
Une telle intimité ?

Comment deux regards aimantés
Ont-ils pu à ce point converger
Constatant, de visu
Leur mutuelle présence physique
Et le caractère impérieux de cette présence
D'instinct détectée ?

Sans même le support d'un regard.
Simplement d'un frisson, d'une onde
De quoi, exactement
Il ne sait.

...

Une autre fois, peu avant minuit
Et alors qu'il bavardait
Avec des amis communs
À lui et elle...

Un gars, une fille
Avec qui peu de temps auparavant
Les instants magiques
D'un stage de théâtre
Ils avaient partagés. 

Dans cet appartement mansardé
Tout près d'une fenêtre ouverte sur la rue
Il venait précisément de l'évoquer
Ce prénom magique
Tout imprégné d'elle, qu'il était
Une fois encore, intérieurement.

Le simple fait d'avoir cité son nom
Le rendait enthousiaste, et allant
Un air doux printanier montait du dehors 
Et par jeu, avec une semie feinte allégresse
Gentiment moqueuse, il évoqua ce mois d'Avril
Et ce qu'il annonçait...

Ses chants d'oiseau bucoliques.

Bien qu'un profond silence précéda cet instant
Précisément, sur la dernière syllabe du mot "oiseau"
Un rossignol, un merle, il ne saurait dire
Depuis un arbre, de l'autre côté de la rue
Lança son chant mélancolique...

Mirage auditif, vulgaire acouphène
Fruit d'une exaltation, un rien ridicule
De folie amoureuse ?

Si le copain, la fille 
-il ne sait-
N'eût fait remarquer
L'étrange simultanéité
Très certainement
Et malgré son trouble
Il en aurait conclu
À l'effet du hasard.
Un de ces purs effets
De hasard...
Non de magie
-ou sorte de diablerie-
Que, prosaïquement
Ils partagèrent.

Communiant avec l'étrange
Le merveilleux, l'indicible...

Sur ce chant magnifique
Comme lancé vers eux
Tous trois subjugués.

Tandis que dans l'éther
Planait encore sa présence
Comme une silhouette diaphane
Comme un doux parfum...

Lalley été 85/ Paris mars 2013
MarronClaudeHenri




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