Rêvons un peu... / Let's dream

Dans cette Espagne


Dans cette Espagne
Où tout brûle et se consume
Contre le temps vaillamment luttent
Nos géants chevaliers
Sur fond de ciel
Par vents de fortune
Je les imagine
Vaines silhouettes efflanquées
Aux frontons vermoulus
Contre leurs infortunes
S'élèvent comme des plaintes
De longs grincements solitaires
De vieux moulins noués

De leurs longs cols
Leurs longues ailes trouées
Et jusqu'aux nues
S'envolent des plaintes décharnées
Encore, encore croire en l'inutile
Et penser qu'il est or
Disent ces vieux fous adorés
Encore croire en l’étincelle
Encore, explorer d'inestimables trésors
Dont nos rêves se nourrissent
Encore, viser les météores!

Encore, grands naïfs
Encore du superflu
Encore de la geste épique
Prêchons-en les vertus
Encore, encore de l’éthique
Encore de l'acte poétique.
Du verbe, des mots barbares
Suscitons l’invasion.
Encore du tout improductif
Soyons-en les nantis
Encore et contre tout avis expert
Au casino du monde
Devenons les artistes
De la Mancia, encore
Y projettera ses ombres

Que faire d'une Bourse?
Du Verbe plutôt, créons la banque
La banque des vers
Des vers argentifères
Et de ses récoltes
Épousons Demeter
Il en va du salutaire.
Au CAC 40 ne donnons foi
Sur quel cheval miser
La belle affaire! 
Si d'un Premier Marché
Il faut croire les fausses vertus
Quelconque est l'intérêt
Plutôt que thunes en leur corbeille
Écoutons battre cet esprit torturé

Devant telle offre, urgent il est
De libre-penser.
Que sur nous souffle l'esprit
Encore de la pensée
Soyons en les mieux côtés
Plutôt je veux en être
Et de soi-même se dire
Restons les maîtres!
Pensons génie créatif
Soyons Crésus
Faciles à rosser

Sifflons haut, haut les cœurs
Sauvons cet oiseau blessé
Puisque d’idées jamais ce Monde
Ne saurait être trop encombré
Que les idées foisonnent
Et vos intimes coffres
S’empliront du sable
Du sable étrange
De leurs déserts
Et si vraiment il faut
Qu'aux paris de fortune
Vous consumiez
Aux bons coups
Futurs retraités
Préférez bas de laines ajourées
Jamais n'en serez angoissés

Du plus faible ayons
La modestie d’apprendre
Nos vies gagneront en curiosité
Puisqu’au néant, à se déverser
Bientôt nos âmes seront condamnées
Puisque jamais plus, l'Art
Ne saurions reconquérir
Des Arts, et de vivre aujourd’hui
Ayons ce secret
Que d'aventure, jamais
De moi, jamais de vous
Ne puis se dire moindre folie
Jamais, ne sut apprivoiser.

Naïfs, soi-disant tels
Pourquoi se renier?
À toujours plus
Ne pas même espérer
Que strict nécessaire
Et le bonheur est assuré
Et qu'encore, oui
Aux frontons vermoulus
Et par vents de fortune
Encore que paraissent
D'inestimables trésors
Nos rêves...
Et nos géants chevaliers.


La Fièvre du Je 


Dans la fièvre du Je
Difficile d’être deux
Peut-on vivre en duplex
Agir en simultané
Se regarder courir
Et foncer pour gagner

Dans la fièvre du Je
Peut-on tout à la fois
Manger, être mangé
Se soucier des autres,
Et leur fiche la pâtée


Dans la fièvre du Je
Je est un autre, évidemment
Intelligent suprêmement
Je est pleinement suffisant

Dans la fièvre du Je
JE, TU, IL
Benne le fric
Je devise
Tu escamotes
Il montre les dents


Dans la fièvre du Je
Férocement, je croque
Et si j'escamote
C'est pour mes éconocroques

Dans la fièvre du Je
Tout seul, j'amasse
Énormément
Pour me fourrer les poches
J’ai de l’appétit pour deux


Dans la fièvre du Je
Chacun pour moi, évidemment
Sans vergogne, je cogne
Saches-le quand-même
Tu comptes énormément

Dans la fièvre du Je
Je triche, Tu te défroques
Si ça rapporte autre chose
Que du toc


Dans la fièvre du Je
Un bon conseil
Ne baise jamais inutile
Et question partage
Plus tard, on verra

Dans la fièvre du Je
Ton cul m'est utile
Mais sache que l'amour, lui
Est totalement futile


Dans la fièvre du Je
Question mariage
Dans la fièvre du Je
Difficile d’être Deux

Dans la fièvre du Je
Peut-on vivre en duplex
Agir en simultané
Se regarder courir
Et foncer pour gagner


Dans la fièvre du Je
Peut-on, tout à la fois
Manger, être mangé
Se soucier des autres
Et leur fiche la pâtée ?

Mars/Avril 2004 ©ClaudeHenriMarron



Femmes vernisseuses


Ce qu'il peut aimer ces ambiances de vernissage
Ce n'est de secret pour personne
Public, journalistes, artistes...
On est là pour les civilités
Et parler "affaires"
Autrefois, on vernissait réellement
Le vernis protecteur servant à protéger
De l'affront des ans
Les toiles...
Mais aussi les personnes
Tout étant affaire de vernis

Aujourd'hui...
Tout est beaucoup moins clair
Il n'est question de vernir
On ne s'occupe même plus des toiles
La valeur intrinsèque de l'artiste
Est directement proportionnelle
À la qualité du buffet
Qui suit les discours

La duplicité des êtres le fascine
Et c'est peut-être là, plus qu'ailleurs
Qu'elle s'y dévoile
Personnellement, il s'en fout
Il est là pour les femmes
Ah! les femmes vernisseuses…
Quelle classe!

Ces garces ont du chien
Et des paroles qui valent de l'or
Du vocabulaire, du style et un look!
Proie de leurs parfums subtils
Il se fond dans leur sillage…
Il s'enrichit de l'oreille
Se cultive par l'œil

Leurs décolletés cultivés
Aux rondeurs plastiques
Illuminent son cerveau
Jusqu’à le rendre presque
Intelligent
Demies Mondaines
Fausses Aristocrates
Russes blancs, aux accents d'émigrées
Et vraies polyglottes

Il aime à capter dans leurs regards
Ce faux air de femmes "folles" 
De folles femmes perdues
Et parfois même...
Quelque chose de plus.

1985 ©ClaudeHenriMarron 




L’Autre 


Dans ce poker-menteur
Peu à notre avantage
Dans la distribution des cartes
Rebattre le partage
Là où naguère le bonheur
Nous étreignait d'absolu
La première étrangère venue
Nous est planche de salut.

Dans les difficultés du partage
En amour comme en jeu
De deux choix impossibles
Remettre tout en jeu
Quand déchiré, notre cœur
N’est plus que douleur
Au bout du tunnel chercher
La possible lueur

Courage, fuyons !
Nous semble la solution.
Quand on s’est épuisé
Sur les possibles recours
Quand tout devient contraire
Qu'entre deux amantes nous hésitions
Toujours la troisième prenons

Entre deux arcanes, toujours
Pour l’inconnue penchons.
Retenez donc ce vieil adage
Tous en chœur, le reprenons...
De deux femmes, deux destinés
Toujours je prends...
L’autre.


1985 ©ClaudeHenriMarron 


Cannes 1990


Qu'était-il venu chercher dans ce festival
L'attrait du strass?
Les éphémères apparences de gloire
Entrevues en cachette?
Voir et revoir, et s'imprégner de cinéma
Comme pour se prouver
Que le meilleur des scénarios
Restait à faire
En sommeil, quelque-part ?

Peut-être le meilleur était-il là, dans ce café où
Prisonnières de leurs visions intérieures
Des âmes solitaires s'imbibaient d'alcool
Mourant à petit feu, ressassant des rancoeurs

De temps à autre

Les regards s'échappaient
Pour venir se poser 
Juste au-dessus de leur tête
Sur la vidéo, juke-box à images
Dévidoir à dégoûts.

Version électronique de Scopitone
La machine faisait le tapin
Images made-in-USA
Aux couleurs délavées
En cascades imbéciles
Montrant d'autres machines
Roadsters difformes
Enfourchés par des primates

Leur cervelle synthétique
Ne devant guère dépasser la taille
D'une tête d'épingle
Tout ce petit monde
S'éclatait en cadence
Sur une rythmique binaire
Bruit de fond audiovisuel
Qu'accompagnait, sans trop le déranger
Un ronron psychiquement érodé
De mentals fatigués

Mais au-delà de l'écran, bien au-delà
Les regards portaient...
Qui donc a bien pû dire
Un seul être vous manque
Et tout est dépeuplé ?

Plus que mûre, sirotant sa bière
Une poivrote respectable
Récitait ses vers qu'elle disait être
De poésie

Vers, que personne du reste
N'écoutait. Un barman complaisant
Lui, faisait semblant
Et malgré ce semblant d'effort
Il ne "remettait" pas
La vie, c'est du cinéma !
Ajouta-t-elle
S'avisant de constater
Combien cette année
Il y avait du monde
Au Festival

La pocharde a des lettres
Mais qui se souciera
De ce qu'a pu être sa vie?
La vie d'une épave
Une vie de roman
Roman que personne, du reste
Ne lira
Roman sans auteur
Roman sans titre
Mais qui aura une fin
Comme tout le monde

Bien peu d'auteurs
Bien peu de scénaristes
Bien peu de réalisateurs
Sauraient en rendre le croustillant
La vie, oui, est le seul cinéma véritable
En projection sensible
Sur l'écran de nos âmes
Solitaires



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire