Tristesse / Sadness

Mort de Calvino


Quand la radio l'annonça
Un monde s'évanouit. 
Les puissances imaginantes
Avaient perdu un Baron
Italo, Prince des esprits libres
Venait de rejoindre ses frères
Au Royaume des Ombres.

Promu Chevalier des Lettres Fantômes
Commandeur des Brumes perché

Dernière fantaisie et nouveau pied-de-nez
De l'auteur de chair mutant
Point d'arrivée ultime
Et point de départ 
D'un écrit magistral
Premier chapitre de son chef-d'oeuvre
Inaccessible aux mortels
Observateur amusé et invisible
Des chimères d'un Monde Inexistant

©ClaudeHenriMarron 1985



Vases communicants


Elle avait cette faculté instinctive
De laisser parler ses larmes 
Dès que l'émotion montait en elle. 
Aussi simple que cela.
Le trop plein d'un côté
De l'autre, la montée du niveau. 
Simple jeu de vases communicants. 
Joie des larmes. Oui, pleurer... 
Tout simplement laisser s'écouler loin de soi
Des larmes rédemptrices
Qui vous lavent cœur et âme
Jouissance suprême de l'abandon
Aux bienheureuses larmes
D'un chagrin ordinaire.

Voilà que son œil à lui, restait sec.
Aucune larme le long de sa joue
Ne venait perler, humidifier son visage
Brouiller sa pupille, rougir ses pommettes
Il le savait. Dans les graves moments
Seul un tremblement imbécile 
Involontaire frisson, prenait naissance
Du bas de l’échine
Remontant d’un coup
Jusqu’à sa nuque
Secouant tout son corps.

Inhibition, compagne de toujours.
Honteusement, il ne se sentait fort
Que de sa propre impuissance
Maladive, à traduire en paroles
Ou en gestes son trop-plein à lui.

Sous le choc
Aussi brèves qu’incongrues
D'étranges idées dans sa tête
Venaient s’entrechoquer 
Battre ses tempes
Dans un bruit sourd.

Rien sous son crâne
Ne venait  à sortir de l'enclos
Sous une forme ou une autre.
Ni matière à décision
Ni prémisse de mouvement musculaire
Tout modèle, tout repère
D'un comportement dit "normal"
Se trouvait dépassé, périmé.

Rire, alors ? Vain défi… 
Même s'il masquait une profonde douleur
Se libérer d'un rire régulateur
Faisait partie des tabous.

Involontaire
Son tremblement redoubla...



Mort, un petit matin


Il n’avait encore jamais tremblé de cette façon. 
C’était complètement incontrôlable. 
Par vagues successives, en ondes brouillonnes.
Sa peau frémissait, ses chairs convulsaient
Il trouvait cela totalement idiot. 

C’était... Comme si son corps réclamait
Sa part de chagrin, de réaction émotive.
Il le devait d’une façon ou d’une autre.
Son corps savait-il mieux que lui-même
Ce qu’il était juste de faire en pareil cas ?

Mais qu’entreprendre... 
Se mettre à danser sur place
Oui… Pourquoi ne danserait-il pas là
En rythmant ses plaintes ?

Notre moderne civilisation n’a pas développé
De telles pratiques.
Pourtant, il sentait bien cet appel en lui.
Il lui semblait qu’il eût aimé danser
Et gémir tout haut, selon un rite ancestral
Sur la Terre Sacrée.

Bien réelle, cette émotion
N’osait dire son nom
Montrer son vrai visage
Elle restait immatérielle, désincarnée.
Éclater, pleurer, rire peut-être... 
Et après ? Quoi d’autre...
Y avait-il quelque chose à faire ?

Plus rien. Il ne pouvait plus rien
Pour ce père
Qui n’était plus
Et plus jamais ne sera.
Impuissance
Oui… Impuissance.

©ClaudeHenriMarron mai 1988


Solitude paternelle


Il songeait aux grands moments de solitude
Aux  siestes de son père.
On peut être homme dans la vie
Homme, père, et perdu comme un enfant.
Sur le bord de la table au déjeuner.
Entre midi et deux
Entre-deux…
Deux labeurs stériles.

L'opinel fermé en fin de repas
Dont il vous frappait du manche
Dans un moment de colère.
Le café de cinq heures du mat
Passé dans la chaussette.

Ses silences et cette fierté désespérée
Le jour où... Parvenu à la retraite
Il décida de ne plus rien faire du tout. 
Je ne fais rien... plus rien -dit-il- 
Terrible, oui, terrible désespoir
Et ultime fierté.

©ClaudeHenriMarron 1988



Et s'il mourait…


Aujourd'hui même...
Partirait-il satisfait de ces bribes d'existence
Moments inachevés, attentes
Ayant jalonné le chemin écoulé
Depuis le jour de sa naissance.
Avait-il le droit de s'arroger le titre d'homme
Était-ce vraiment cela, vivre ?
Pouvait-il se satisfaire de ce parcours chaotique
Vers une conscience de soi
Et des autres, et du Monde
Et des hommes.
Ayant duré trente-six années déjà !

Fait inexorable… Parvenu à cet âge
Il pouvait espérer sans doute
Le double de ce temps.
À parcourir, péniblement
Les chemins imprévus de l'existence
Presque malgré lui.

Avait-il seulement, un instant
Crû qu'il existait ?
Il se le dit à lui-même
Tente de s'en persuader
Il s'efforce d'y croire
Mais plus vraisemblablement
Il lui est clair
Qu’en naissant à ce monde
Depuis toujours
Il a dit -pouce ! 

Je me retire...

©ClaudeHenriMarron 1985



Premier Vol


Tout comme d’un premier vol
Je n’aurais connu de la vie
Que l’éclair des apparences
Les strass du rêve
Et les désirs fous.
Et au bout du compte
Aurais-je ignoré le temps qui passe ?

J’ai rejeté le goût de l’amertume
Et du ressentiment
En toute chose. En chaque être
Je ne veux plus voir qu’un îlot
De subsistance.
La pire des ordures
M’est une promesse d’homme
Et la dimension, difficile à tenir
De l’amour...

Avenir qui ne saurait survivre à lui-même
Espoir dans un océan d’oubli
Mèche tremblotante ballottée
Dans la tempête des âmes.
Souffle ténu de ma naissance
Printemps renouvelé par-delà la mort
Et l’ultime souffrance de ce qui vit.

Malheur qui écorche
Saurais-tu étouffer cette flamme ?
Pour, au mieux, me jeter en un gouffre
Anonyme et glacé...

Entre des doigts immatures
Aurais-je laissé fondre le précieux
Le ténu fil du bonheur ?
Et au bout du compte…

Je me suis enivré

Des possibles chemins
Vers l’Infini.

©ClaudeHenriMarron Automne 1985



Chimères


De quels espoirs, futiles, dérisoires 
Nos mères nous ont faits ?
De quelles chimères phtisiques et maniaques
Nos mères nous ont pétris ?
Quelle vanité en nous, survit à nos errements ?

Pour quelle récompense utile
Nos coeurs s'efforcent-ils de battre ?
Nos frêles cervelles, épargnées à peine
De syphilis de l'esprit
Nous commandent encore
Sur des chemins caillouteux et pelés
Usant la semelle à nos envies.

Faut-il que l'aveugle clarté du néant nous pulvérise
Pour qu'enfin revenus à nos réelles dimensions
Nous contemplions la fumée des étoiles ?

©ClaudeHenriMarron 1985



Moraliste en culottes courtes


Un cancer dévorant avait eu raison
De sa naturelle insouciance. 
Autocensure, surmoi autoritaire
D'un raisonneur en culottes courtes.

Moraliste, et surtout moralisateur
Il était affecté d'une tumeur maligne
Que l'on nomme lucidité.
Précocité fâcheuse...

Enfant, plus tard adolescent
Il s'était refusé tout épanouissement
De la sensualité.
Dénigrant les écarts incontrôlés
Pour aller vers ce qui n'était qu'exclusivement raisonnable.

La jouissance spontanée, normale à cet âge
Lui était vite insupportable.
Il savait qu'à l'horizon du Temps
D'obscurs destins pointeraient.
Tôt ou tard, l'Insaisissable trancherait
Alors à quoi bon nos petites vanités ?

Une monstrueuse protubérance à la poigne féroce
Le dévorait:
Sa conscience...

©ClaudeHenriMarron 1985



Corps flottants


Nous sommes ces corps flottants
Perdus, guettant l’oeil fixe
L’horizon d’un océan de hasard
Appelant, de notre regard bleu-azur délavé
De tout notre être charnel
Une hypothétique Terre Vierge
À explorer. 

Rescapés d’un Monde de chimères
Où dans ses moments
Les plus illusoires
Comme les plus tangibles
La Vie surnage. 

Les muscles tendus 
La cervelle prisonnière
Comme la chair de l’oursin
Condensé du vif
De nos crânes épineux.

La peau tannée par les élans du coeur
Brunie par les feux
Où se consument nos envies
Vers un impossible ailleurs.

La masse des flots mouvants, 
-Respiration du Néant-
Se creuse et se soulève.

Et nous, pauvres êtres vivants
Ballottés par la mer
-Huile du Temps-
Croyons tenir fermement
Notre cap
Vers l’Impossible.

©ClaudeHenriMarron 1985



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