Méchant / Bad


Persan Ignoble

La violence...
À l’intérieur d’un couple frappe,
Quel que soit le milieu
- Annonça le speaker de la FM.
Suivit un long exposé
Sur les malheurs conjugaux...
Cette idée l’amusa.
Il s’imagina en grand Commis d’Etat,
Rentrant du Ministère
Après une rude journée de travail.
S’étant farci, comme toujours,
Brimade, sur brimade...
De ses supérieurs hiérarchiques.

Le voici, face à sa femme...
Dans le corridor...
Juste à la limite du Persan ignoble
Qui l’attend tous les soirs à la même place.
Il lui dit, qu’il est ignoble,
À cette chère épouse,
Dès qu’il a posé le bout
De ses escarpins vernis
Sur ses bords râpés.
Trois-cent-soixante-quatre jours par an,
Le trois-cent-soixante-cinquième étant
Par bonheur, celui où
Il est en visite
Chez le spécialiste,
Pour révision générale.

Et la voilà, elle, Dame Patronnesse
Comme on n’en fait plus.
Elle a le don de lui taper sur les nerfs
Par sa seule présence.
Il voit rouge, dès qu’elle ouvre
Cette bouche odieuse,
À manger des petits-fours.
Comment résister?

Il pense...
Je vais lui envoyer une gifle royale,
La mandale qui décoiffe,
Pas le petit camouflet du bout des gants.
Elle en aura la tête toute retournée!
Un aller-retour, monumental,
Pas un camouflet de petit marquis.
Il l’enverra rouler sur le tapis,
Puisqu’elle l’adore, cette loque miteuse.

Il n’est pas allé jusqu’au bout de sa pensée.
Mais le dîner en tête-à-tête va être terrible.
Il faudrait vraiment, ce soir-là,
Que le Maître d’Hôtel ait fait
S’accomplir quelque prodige.
Un must culinaire, de sa composition?
Autant dire un miracle!
Pour que s’appaise, efficacement,
Cette terrible pulsion.

La première réflexion
Sur son nœud de cravate...
La première interrogation,
Niaise, sur les affres du bureau...
Les... "qu’est-ce que tu comptes faire pour... "
Les propos insipides,
Sur la jeune Fille au-pair.
Qui reçoit ses petits amis
Dans sa chambre de bonne.
Et l’acte irréversible,
Mais tellement défoulant,
S’imposera à lui.
De préférence, au moment
Où on lui passera la soupière.
Juste pour le plaisir
De la réaction en chaîne.

Comme le bout de ses doigts
En frétille d’aise...
Surtout, ceux de la main droite,
À la seule idée de partir à la volée,
Et de s’écraser dans la graisse moite
De ces joues de vache.
Elles y laisseront
Comme de petits cratères
- Se dit-il...
Des marques d’impact indélébiles,
Pour au moins vingt-quatre heures.
Juste le temps de repos, nécessaire,
Avant que ne s’abatte
La suivante...

Septembre 1985©ClaudeHenriMarron



Baby Boom


Un poste à transistor nasillard
Aux piles à moitié mortes
Distillait honteusement une musique aigre
Fanée, éventée.
Violons chétifs
Piano malingre et maracas.
Airs ringards à souhait
Ayant servi en leur temps
À juguler le spleen français.
Sud-américanisant les années
De reconstruction nationale
Friandes d'exotisme bon marché.
Ces accords, le Baby Boom
Yavait puisé de sa graine.
Il en était le fruit. 

Exactement ce genre de musique
Pour grand Palace décadent.
Il n'avait jamais mis les pieds
Dans un salon de Casino.
Si seulement, il avait eu l'imagination suffisante
Il aurait pu se croire au Casino.
Hélas, et quand bien même
Il y flotterait dans un costume trop grand
Couleur noix de coco.
Son panama lui mangerait le visage.
Un visage, du reste, sans grand caractère.
Pour couronnement du tout
Imaginez dans un transat miteux
En toile délavée par l'iode et le soleil… 
Lui! C'est le moment qu'il choisirait
Pour évoquer des obsessions qui
À défaut d'être des plus snobs
Trahiraient chez lui un esprit fébrile
Maladif et d'une grande vulgarité...

Comme cette idée étrange
Soi-disant partagée avec un acteur connu
De voir sa tête arrachée par la chaîne d'une tronçonneuse.
Idée, qui ne le quittait plus
Le submergeant même au milieu d’une foule
D'aéroport, comme en plein désert.
Lui, le provincial endormi.
Lui, qui n’avait jamais quitté sa terre natale
Voyageur immobile
Pour qui le Monde
-contrairement à notre grand acteur-
Paraissait bien trop grand.
Pour les faubourgs de Nulle-Part
Pour une quelconque Terre Promise
Heureusement que la Littérature existe


Septembre 1985©ClaudeHenriMarron



Devant la glace


Souvent, il s'entraînait devant la glace
À sourire, en évitant que des lèvres trop plates
N'esquissent qu'un pauvre trait.
Une simple ligne, dont on eût dit
S'il se crispait, la caricature d'un sourire.
Aussi sensuel qu'une marionnette de bois!
Toujours, elle lui disait de détendre
Un peu sa lèvre supérieure.
Quelle lèvre? -ajoutait-il, non sans cynisme.
De fait, il n'avait pas de lèvre supérieure.
Et ses lèvres en général, loin d'être charnues
Étaient plutôt dures.
Depuis, il s'était trouvé un "truc".
Pour les rendre plus expressives
Il portait la mâchoire en avant
Prenant bien soin de détendre les muscles
De son visage.
Cela avait pour effet de lui donner l'air plus "volontaire"
Moins pisse-froid.
Il semblait plus chaleureux, presque "sensuel".
Et, toujours selon ses affirmations
Avec du "caractère".
Mais il se gardait bien, jusqu’ici
De lui en faire la démonstration. 
Ce qui eusse eu pour avantage
De dissiper tous les doutes.
Alors, avec sa perfidie naturelle -selon lui-
Son feeling -selon elle-
Elle se permettait d'insinuer
Qu'il était étranger au glamour.
Bien éloigné, encore du sex-appeal.
Il n’était pas Marlon Brando
Loin s'en faut...

1985©ClaudeHenriMarron

Aphorisme


Pour bien vous rappeler que si une qualité
Est parfois requise
Elle n'est pas toujours suffisante
Chez l'individu...

L'Hominidé -rappelons-le-
l'Homme en fait partie, 
N’est qu’une terre aride.
Le don?
Une petite graine capricieuse... 
Ses chances de germer 
Et de produire par elle-même
Sont infimes.

Simple problème
De probabilités.
Admettons, qu’avant de disparaître
Une bonne fée gratifie
Chaque bébé gorille du Botswana
De la recette en latin, bien connue
Du Bœuf Mode.
Outre que le gorille est très peu implanté au Botswana
Qu'il n'a de plus
Guère de notions de latin
D’ici à quelques siècles
Combien auront eu la chance
De finir Grand Toque
Au Carré des Feuillants ?

Paris, 1987©ClaudeHenriMarron



La Bérésina des mouches


L’insupportable légèreté d’âme de ces volatiles
Était comme une projection honteuse
De nos humaines faiblesses.
Commères sans vergogne
Accidents de parcours de l’évolution des espèces
Les mouches
Au bourdonnement incessant
Achevaient leur entreprise
Démoralisatrice sur l’esprit. 

Tardive, sa vocation littéraire n’était de taille
À lutter contre cet écho assourdi
Obsessionnel et lointain.
Cet anarchique et monstrueux
Assemblage d’indiscrétions tapageuses
Ce délire de monstres ovipares
Dont le seul souci sur Terre
Était de bien copuler…

Les preuves sonores de leur jouissance
Excessive et paranoïaque
Vous parvenaient à l’oreille
Sous forme de frottements continus
De centaines de petites ailes agacées
Et obsédantes.
Machinalement, sa main partit à la volée
Avant de s’abattre sur la feuille blanche.
La maculant d’une tache rouge sang
Les mouches, contre ses efforts littéraires
Avaient entrepris une œuvre de sape.
Impuissanté, son esprit ne pouvait
Matérialiser ses intimes pensées.
Son ardeur créatrice
Se résolvait en désespérantes tentatives
D’impressionner au ruban carbonique
Une page désespérément blanche
Ô combien rebelle
Pas même une querelle de mots
Livrant bataille sur fond de page raturée.
Le néant absolu!
Une page virginale…
Une page pleine de promesse
Lisse et pure...
Se refusant, avec mépris
À ses avances appuyées.

Un cri démoniaque déchira sa gorge
Il bondit sur ses jambes
Pour rejoindre la commode
Là, au fond du premier tiroir
Dormait en réserve une arme redoutable…



Ce qu’il restait d’un allume gaz
L’essentiel… De quoi produire
À la demande, un arc électrique
Assez puissant pour terrasser
Une à une ces mouches stupides.

Tandis que, dehors, crépitaient
Les premiers échos de l’orage
Il se mit à accomplir une lente
Et patiente
Oeuvre de salubrité publique
Assassiner de sang froid
De pauvres idiotes créatures
Incapables de saisir tout le sel
De la situation

Elles dégustaient, les garces ! 
Minutieusement, il s’appliquait
À leur griller le bout des ailes
D’un coup sec sur le poussoir
Produisant -ô miracle technologique-
La première foudre à l’échelle des mouches
Approchant le conducteur
Il savourait leur agonie
 -Soubresauts ultimes- 
Quand, de tous côtés, apparaissaient
De petites étincelles qui, pour elles
Signifiaient la mort cosmique
Une légère odeur de corne roussie
Perceptible à peine, lui remontait
Jusqu’aux narines
Activant sa jouissance, inlassablement
Il répéta cet acte libérateur
Ce processus génocide
La Bérésina insecticide
Plus tard -se promit-il-
Il ferait acte d’historien
Témoignant à la face du Monde ébahi
De ce fait regrettable…
La Fin des Mouches !

1985©ClaudeHenriMarron




À propos de séparation


Contrairement à ce que l'on croit, généralement
Une séparation est rarement brutale.
Ce n’est que le recul du temps
Parfois aussi le remords
Qui font qu'un jour ou l’autre
Cette brutalité nous saute aux yeux.
Comme dans le printemps des pôles
Lorsque les glacis du temps se disloquent
Une séparation est avant tout un lent glissement
Du plaisir, vers le déplaisir.
C’est du quotidien malade
De la vie qui se déglingue
Selon un rituel classique
Commun, prévisible...

Ce lent glissement, progressif
Il faut savoir en reconnaître les indices
- Je te quitte !-
N'est jamais que le stade ultime.
Au début, une simple menace brandie
Le plus souvent sur le ton de la plaisanterie.
Banalité de couple qui se lâche
C’est un petit jeu, sans effets ni suite.
On se teste en paroles
Cela ne signifie rien de tragique.
Mais l'amour se lasse, à marée basse
Ne se contente plus du lent roulis.
Dans son effrayante banalité
L'histoire climatique se répète
La menace grandit jusqu'à la peur
Annonciatrice du vide ?

On se teste, avant qu'on se déteste.
Comme ces parties visibles de banquise
Où des vies flottantes se consument.
Des mémoires se diluent…
La séparation pointe son nez
Rivages incertains de contrées invisibles…
Où nos cœurs, gréements déboussolés
Croyaient pouvoir atteindre en vainqueurs.
La vie, hélas, ne grandit sans rancœurs. 
De victoires en deuils
De deuils en victoires
On s'échoue sans passion. 
Super Nova de nos disputes
L'amour impérialiste
Se précipite au fond d'un prisme.
Comme pour mieux atteindre là
Son stade ultime.
Et dans ce lent travail d'impuissance
Nos anciennes gloires
Se soldent en défaite.

Automne 1985©ClaudeHenriMarron






Petites misères d'avenir


Quand je serais bien vieux
Mon teint sera gris
Ma langue sera pâteuse
Couard et sans honte
Je perdrai la boule
Ayant peur de tout
De rien, et de la mort
La bave au menton
Je parlerai seul

Je m'accrocherai à la vie
Et la vie, elle
Me fera dessus
Je l'emmerderai
Elle m'emmerdera
Je t'emmerderai
Et tout ton entourage
En public
Regardant les filles
Je me gratterai
De la quenouille
Tout bandolinant
Des couilles
Ou ce qu'il en reste

J'aurai quelques sursauts
Li-bi-di-neux
Mes chairs seront flasques
Et les pollutions nocturnes
Refleuriront
Tout comme aux premiers temps
Je sentirai mauvais
Inspirerai le dégoût
Des idées d'euthanasie
Sans que j'y puisse rien
Des flots pestilentiels
Comme des bulles
Sortiront de moi

De l'intérieur, je pourrirai
Ça dégoulinera le long
Avec de grandes auréoles
J'aurai des diarrhées
M'urinerai dessus
Sur mon pantalon
Mes habits auront des tâches
De plusieurs semaines
Ça fera des traces
Jamais plus
Chez moi
Ne ferai le ménage
Mon lit sentira le moisi
Toute ma peau flétrie
Le formol

Toujours plus sale
Derrière mon dos
L'on grimacera
Bêtement, aux enfants
Je sourirai
Cherchant mes mots
Disant l'un pour l'autre
Je leur ferai honte
J'aurai la tremblotte
Ils me tutoieront
Me détesteront

Je cracherai vert
Et devinez où,
Le vert crachat
Tombera
Sur mon col
Debout aux toilettes
Ou accroupi
Haletant et soufflant
Je me maintiendrai
Bien-sûr
Je ferai sur la lunette
Encore crachant
Mouchant dans mes doigts
Ou la chemise cette fois
Plus de papier ?
Je m'essuierai quand-même !
Sur ce que ma main
Trouvera
Le doigt bien chargé
D'élégantes virgules
Ce faisant
Iront garnir le long
Du papier peint

Quand je serais bien vieux
Mon teint sera gris
Ma langue pâteuse
La bave au menton
Je parlerai seul
Dedans mon lourd sommeil
Tout engourdi de Gardénal
J'appellerai
À moi la vie !
Car nul doute à la vie
On m'accrochera
Bien malgré moi
Mais un jour venu
Un jour
Qu'on attendait plus
À moi
Jamais plus
La vie
Ne s'accrochera.

Automne 2011©ClaudeHenriMarron



L’animal, en moi…



Quel animal habite mon corps
Quel fauve, aux yeux rougis
Quel grand prédateur
Se vautre dans mon salon stomacal
Sur le moelleux de mes entrailles ?

Ma tête résonne de ses cris de hyène
Quel vol noir
Quel croassement
Quel coup de bec
Claque et se répercute
De loin en loin,
En échos sourds
Dans le ciel vide
De mon crâne
Ouvert à tous vents ?

Quel félin se blottit
Dans l’ombre de ma glotte
Quel monstre tapi
Dans mes vestibules pulmonaires
Où souffle un vent démoniaque
S’apprête à me saisir à la gorge ?

Dans quelle obscurité
Profonde, de mon être
S’entassent les reliefs de ses festins
Où se cache la bête…
La bête immonde,
Qui m’anéantira ?

Dans quelle fange nauséabonde
Dans quel repli tortueux
De mes tripes
Croupissent les mille-et-un têtards voraces
Qui me suceront la moelle ?

Novembre 82©ClaudeHenriMarron




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